« Ce qui me bouleverse dans le cinéma, c’est quand le réel se met à scintiller, quand le réel devient une épiphanie. »
Après de nombreuses nominations au César et de sélections dans les plus grands festivals du monde montrant ainsi la pérennité de son talent et la reconnaissance internationale, il revient cette année à Cannes avec un nouveau film, Frère et soeur, présenté en compétition. Après Catherine Deneuve et Charlotte Gainsbourg, deux figures incontournables de son œuvre, il sera cette année le Président du 48e Festival du cinéma américain de Deauville et nous attendions avec impatience qu’il soit disponible pour porter ce regard si singulièrement français sur le cinéma américain.
Dès son premier moyen métrage La Vie des morts (1992), Arnaud Desplechin entre de plein pied dans le territoire du cinéma, celui de la fiction et du réel transcendé, et s’impose notamment comme un maestro du dialogue avec les acteurs. Œuvre matricielle, fondatrice qui ne cessera d’irradier et de de déployer ses rayons, elle est couronnée avec clairvoyance du Prix Jean Vigo. Fabriquant de films, comme il aime à se définir, Desplechin ne cessera dès lors de tisser, à sa manière impudique et unique, les fils de la question cinéma. Disciple fidèle de Stanley Cavell et de Jean Douchet, amoureux du cinéma américain, il pratique un art d’aimer qui réunit physique et métaphysique.
Arnaud Desplechin bâtit un cinéma du romanesque, de la fiction, tout en ne cessant de faire exploser ses cadres et ses normes, distillant une étrange étrangeté pour mieux interroger le mystère de la réalité. Son œuvre est un labyrinthe où se perdre fait penser, où voir fait vibrer et où s’abîme le doute…
De la mort, il sera encore question dans son deuxième film La Sentinelle (1996), où il entremêle déjà différents genres et niveaux de récits. De film en film, Arnaud Desplechin dialogue avec ses motifs, ses obsessions, ses fantômes et ses doubles, qui s’incarneront dès son film suivant Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) dans le personnage de Paul Dedalus et la forme d’un acteur en la personne de Mathieu Amalric. Nul hasard sans doute si son film Esther Kahn suivant est un thriller… sur la condition d’actrice ou si son incursion dans la série En thérapie apparait comme une embuscade de la caméra pas très orthodoxe du côté de sa comédienne Suzanne Lindon…
Rois et Reine (2004), Un conte de Noël (2008) et son échappée américaine Jimmy P. (2013), Trois souvenirs de ma jeunesse (2015), témoignent encore de son goût pour les drames familiaux, teintés de mythologie antique, pour la filiation et la psychanalyse comme art de l’enquête, du complot voire de l’espionnage.
Les fantômes d’Ismaël (2017) resserrent jusqu’au vertige les fils de la toile d’une œuvre labyrinthique où résonnent les échos du passé, hantée par les spectres et qui continue à flirter avec le fantastique et le thriller.
Avec Tromperie (2021), l’adaptation quasi fantasmatique du roman de Philip Roth, il semble nous susurrer à l’oreille le rosebud de son œuvre, le secret du jeu inextricable entre le romanesque et la vie, celui des travestissements du « je » et du miroitement des sens, le mystère de la création…
Nous sommes heureux d’accueillir Arnaud Desplechin pour président de cette 48e édition.
Crédit photo :© Thomas Brunot